Jacques Cuisset
1933-2017
«Il m'arrive — parfois, un peu, très peu, rarement: c'est... pénible — de penser à... ces choses — d'essayer de m'imaginer, coincé entre un diagnostic de Parkinson et un pronostic d'Alzheimer. Moi, narcissique comme je suis, fier comme je suis, orgueilleux comme j'ai toujours été (…) Coincé entre deux diagnostics, coincé dans un fauteuil roulant, coincé dans un lit, prisonnier dans un corps qui n'est plus capable de suivre, coincé entre le discours d'un gériatre con et celui d'un aide-soignant débordé.
​

Je revois Jacques, l'œil brillant d'une bonne affaire, un matin de brocante, d'une truite luisante et nerveuse dans un torrent de l'Ardèche, d'une réunion d'équipe réussie à la RTBMachin, d'un moment de complicité avec ses fils. Et tellement de fois je me suis dit que, moi, j'aurais été tellement fier d'être le père de deux grandes jeunes énigmes ingérables de cet acabit... (…)
Mais je le revois, lui, mon Dieu, comme il n'est... plus tout à fait, et comme, pourtant — conscient comme il doit quand même être, malgré tout, à de nombreux moments — , son âme doit encore le trouver. Se trouver.


L'âme, comme la libido, ne vieillit pas.
Y a juste le corps qui rouspète...
Quand Dieu existait, on avait — parfois — un peu le goût d'aller... le retrouver — et toute la smala avec, Mamie — toutes les mamies et tous les papys —, dans l'espoir que ce soit comme une sorte de Club Med non stop, mais adapté à nos idiosyncrasies. Des rivières pleines de truites, des scoops pas possibles, des bassines de cuivre du temps de Léopold II, des livres, des livres, des livres... et des moments de grâce, avec le plus magique rire d'une femme qui se soit jamais fait entendre entre l'Oural et l'Escaut, plus trois cents chats — et deux tortues... »
