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Lettre — un peu folle —

à un homme follement extraordinaire

 

 

Paris, le 25 novembre 1990

 

Très cher Jean,

 

L'Église, au temps jadis, dans sa grande sagesse,

Nous imposait toujours, sortant de confession,

Quelque humble pénitence : trois avé, une messe,

Un bref chemin-de-croix, parfois un petit don

À quelques bonnes oeuvres, ou bien quelques lampions.

Il ne s'agissait pas de coulpe ou de cilices,

De douloureux soupirs ou d'âpres sacrifices,

Mais de légers «devoirs» à faire, l'âme légère;

Moins une «punition», au fond, qu'une prière.

J'ai cru comprendre un jour que telles pénitences

N'avaient, au yeux de Dieu (appelons-le ainsi!)

Pas plus qu'en elles-mêmes, la moindre importance.

Absolument aucune, en fait, et pourtant si:

Ne prétendant en rien racheter nos offenses

(Le Christ ayant déjà, pour ça, donné sa vie),

Ni même compenser ce que rien de compense

(On n'annule jamais une enfant-de-chiennerie!),

Leur but unique était — mais cela n'est pas rien —

De nous rappeler que, même pour les vauriens,

Dieu ne s'amuse pas à nourrir son courroux

Pour peu qu'on n'oublie pas que ça dépend de nous!

Son pardon est léger, Il n'est pas rancunier!

La «pénitence», alors, infime, symbolique,

Avait donc un objet surtout pédagogique :

En nous aidant, en somme, à ne pas oublier

Qu'il n'est pas difficile d'être pardonné

À condition qu'on veuille, au moins, s'en prévaloir,

Et que l'on manifeste un peu de bon vouloir

Dans le ferme propos de voir à s'amender

(Enfin... comme on disait : tanquam possibile!)

 

Pardonnez, je vous prie, cher Jean, cet apologue,

Façon étrange de... renouer dialogue!

Mais je me sens, bien sûr, un tantinet coupable!

Et moins d'avoir tardé à vous faire un peu signe,

Que... de m'être privé de moments agréables

Plus tôt auprès de vous — quoiqu'en étant indigne...

J'ai donc au moins voulu prendre un petit moment

Pour polir quelques vers à votre intention

— Bénigne pénitence! suave châtiment! —,

Comptant, plein de confiance, sur votre absolution...

Me voici donc encor installé à Paris

Pour une pleine année que l'on dit «sabbatique» :

Studieuse oisiveté, répit académique

(J'eus certes aimé trouvé raison plus... érotique!),

Convalescence, en somme, de l'âme et de l'esprit...

 

Les dieux, à mon égard, pleins de bons sentiments,

Dans ce même bon vieux 7e arrondissement,

Ont reconduit mes pas, hardes et bibelots,

Jusqu'au cinquième étage, au 6, rue Oudinot.

J'y séjourne depuis presque trois mois déjà

Avec un intermède au milieu des Hongrois,

Des Tchèques, des Slovaques au pays de Vaclav,

Ainsi que des Bosniaques et autres Yougoslaves.

Il me vint à l'idée, bien sûr, en arrivant

De vous donner un coup de fil à Vaucresson.

Mais nous fûmes bien pris par notre installation.

(Il fallut à vrai dire un bon petit moment

Afin d'équiper mieux ce bel appartement,

Mais dépourvu hélas de bien des accessoires

De la télévision à la simple bouilloire...)

Ça va mieux maintenant, on se croirait chez nous.

Ne manquent que les chattes — mais c'est à peu près tout!

 

Ah mais... je dois, j'y pense, vous faire confidence

D'une bien triste histoire arrivée juste avant

Que de quitter, heureux, Montréal pour la France;

Cette petite chatte, allant sur ses deux ans

— Butterfly, de son nom, qui me fut confiée,

Ce soir d'anniversaire, vous vous en souvenez? —

Est retournée, la pauvre, au paradis des chattes

Et des autres bestioles qui marchent à quatre pattes.

Son nom, qui sait, l'avait peut-être bien vouée

Au tragique destin de la jeune héroïne.

Sa nature fragile la fit succomber

À une opération qu'on disait «de routine»,

Qui devait empêcher la petite féline

De procréer de trop nombreux petits bébés.

J'en fus ô combien triste, cela est certain;

Les chats sont plus aimables, hélas, que tant d'humains!

Nous avions cependant, grâce à Dieu, adopté

Sa jumelle, elle aussi, de la même portée.

Une «bonne nature», pas du tout pathétique,

Un tantinet moins belle, mais pétant de santé

Que, constatant bientôt sa nature énergique,

Nous baptisâmes aussi d'un nom fort célébré :

Ayant déjà puisé chez le grand Puccini,

Et la voyant courir, en déplaçant tant d'air

(Il est vrai qu'elle était sans noble pedigree

Mais plutôt de la race des chattes de gouttières!),

Nous eûmes, cette fois, recours au vieux Wagner

Et, d'anonyme chatte, elle devint Walkyrie!

(La brave Brunnhilde est en bonne pension

En attendant notre retour à la maison...)

 

Mais, mon Dieu, je digresse bien plus qu'il n'est permis!

Bon, alors, je reviens bien vite à mes moutons...

Bref, donc, le temps passa... Et nous nous rappelâmes

Qu'en ce temps de l'année, propice au vague à l'âme,

Vous aviez dûr partir — du moins, je l'imagine —,

Au Carré Saint-Louis, célébrer l'Hallowe'en.

Nous regrettons bien sûr d'avoir manqué le show,

Digne du grand Vittez, ou de Patrick Chéreau!

Encor que vos spectacles, d'avant-garde et osés,

Seraient probablement audacieux pour Chaillot.

Et, comme au bon vieux temps du Valparaiso,

Sans doute mieux goûtés off les Champs-Élysées!

Vous devez, je suppose, être rentré depuis,

À moins que cette lettre vous précède de peu.

J'espère, en tous les cas, vous entendre sous peu,

Et, bien sûr, de vous voir, je serai fort ravi...

À bientôt donc, cher Jean, et recevez les tendres

Saluts de l'amitié, en cette fin novembre.

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