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Vie et mort d'un pigeon voyageur

par Anne Rieter

Par une fin d'après-midi très chaude de juin, Vincent trouve sur le pas de sa porte, au Pays des Collines, dans le Tournaisis, un superbe pigeon-voyageur vieux rose qui semble foudroyé.

 
Voisine colombophile, vétérinaire, tout le monde l'envoie paître. Alerté, le patron des colombophiles wallons me dit que c'est le troisième pigeon qu'on lui signale de la journée. C'est avec cette chaleur, il faut lui mettre de l'eau, il va se désaltérer, puis il va s'installer sur une branche d'arbre, à l'abri, pour se reposer. Oui mais... le pigeon tétanisé ne fait rien de tout ça, il y a Scratch, le chat de Vincent qui n'est pas loin, ainsi que ses petites copines félines, la maman et la tantine de Lili, ça va faire un carnage, un « dégât collatéral » pour reprendre l'expression d'un colombophile. N'écoutant que mon bon cœur, je dis à mon fiston :


- Ramène-le à Bruxelles, alors.

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Le pigeon-voyageur porte une bague NL 2019, il doit avoir cinq mois tout au plus. Grâce aux fédérations belge et hollandaise — la N.P.O. Veenendaal — j'entre très vite en contact avec le propriétaire du pigeonneau, un colombophile de Breda, qui se met à vitupérer contre le convoyeur (1) « Van tijd doen ze stomme dingen » (2).

 
(Une éminente musicologue de mes amies, et félinophile distinguée toujours soucieuse du bien-être de tous les animaux, s'insurge :


- Pour lâcher des pigeonneaux par ce temps, faut être « ne stoemme n-eizel » (3), un « con-voyeur » !!!)


Le maître du pigeon-voyageur en devenir me propose d'envoyer un ami colombophile le récupérer. C'est bon signe. Connaissant les coulonneux (4), toujours enclins à raccourcir leurs pigeons quand ils ne rentrent pas comme des météores, je hasarde :


- Vous allez quand même lui laisser une seconde chance ?


- Zeker, zeker, zeker (5) ! (Ouf)


Deux fois par jour, d'une main, je le tiens contre moi, de l'autre, je change son alaise et son eau, son manger quand il est souillé. Il a aussi, à sa disposition, une motte de terre avec de l'herbe et je lui fais la causette en néerlandais « kom-kom-kom » (6), je l'appelle « Roucouh » alors que je ne l'ai jamais entendu roucouler, ce qui est étrange. 


Le lendemain de son arrivée à Bruxelles, j'ai vu à son eau de boisson qu'il s'était nourri. Le deuxième jour, il a dû boire, mais n'a pas touché au riz ni aux petites graines, à 20h l'écuelle était intacte et le pigeonneau, toujours droit sur ses pattes, avait l'air très faible, tombait facilement à la renverse, je l'aidais à se redresse, lui me clignait aimablement des yeux. Le troisième jour, je l'ai trouvé inerte, allongé sur le ventre, les yeux clos, il était parti...


Prévenu, l'émissaire du colombophile m'a expliqué que le manque d'eau, pendant le voyage des pigeonneaux en Belgique pour un vol d'entraînement, a causé des dégâts irrémédiables.


Le parcours de cet adorable pigeon et sa compagnie si douce, m'ont fort émue. Avec la bénédiction du colombophile hollandais, je l'ai enterré au jardin, à l'ombre d'un bouquet de fougères, et j'ai planté par-dessus sa petite tombe un plan de géraniums roses vivaces, c'est bien le moins pour un gentil pigeonneau vieux rose que j'aurais volontiers adopté...

1. NDRL. Les transporteurs de pigeons par camion pour les concours et entraînements – en un mot et sans jeu de mot, les convoyeurs – ont toujours bon dos. Lors de « lâchers désastreux », les bordées du Capitaine Haddock, c'est de la roupie de sansonnet à côté de celles d'un colombophile courroucé.

2. Trad. « Parfois ils font des choses stupides ».

3. Traduction littérale « un âne stupide » : ce n'est ni du moldave, ni du syldave, mais du patois bruxellois, composé fifty-fifty de français et de néerlandais avec la prononciation du cru.

4. Colombophile en parler wallon, ben oui, c'est ça, la Belgique !

5. Trad. « Certainement ».

6. Trad. « Venez-venez-venez » syn. « Kom gauw », (trad. « Venez vite »)

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