Le chiard de goélette
ou les patates à Barnard
Je suis d'accord avec vous: on aurait pu trouver un nom un peu plus... ragoûtant que «chiard» pour désigner ce plat simple mais exquis. (D'autant que le correcteur orthographique automatique de mon logiciel me fait... chiarder tout le temps avec ce terme.) Il faut croire que nos ancêtres avaient d'autres chats à fouetter. Personne ne se souvient plus du Barnard en question, naturellement, mais, au moins, l'expression «chiard de goélette» suggère bien ce dont il s'agit ici: un plat que les épouses des marins et des pêcheurs préparaient à ceux-ci lors de leur sortie en mer, pour qu'ils puissent se sustenter en attendant de pogner la mourue, les houmards et les crabes — de toute façon longtemps considérés comme du «manger de pauvres»....
J'ai quelque peu adapté cette recette — qui fait cependant partie, je le signaler, de la famille des «très approximatives. Donc, des très adaptables — avec... prudence et circonspection, cela va sans dire. Celle-ci m'a été précieusement confiée par une amie née native de Montmagny. Je l'ai réalisée à moult reprises sans orgue, mais avec délices.
De quoi s'agit-il? Essentiellement de pommes de terre au lard. Jadis on utilisait du lard salé. C'est moins... tendance, de nos jours — disons. J'ai vu des recettes — horresco referens! — qui lui substituaient du baloney. O tempora, o mores... Mais... demeurons accueillants et larges d'esprit — du moment que c'est bon.
Voici ma suggestion à moi — libre étant à toi, naturellement, audacieuse lectrice, téméraire lecteur, d'improviser à ta guise.
- 6 belles pommes de terre plus ou moins moyennes, bien épluchées, si possible à chair jaune, coupées en dés
- 1 oignon finement émincé
- de l'eau: on en ajoutera un peu à la fois en cours de cuisson
- sel et poivre — qui sont les deux mamelles de la bonne cuisine de base
OU des herbes salées du Bas du Fleuve, si on en a
- 1/2 livre de lard salé gras OU, ce que je suggère: de lardons de bacon — ou de poitrine fumée, comme disent nos amis les livres de recettes français
Attention, donc, au sel: même le bacon est quand même déjà salé...
On fait dorer ces lardons dans une poêle jusqu'à ce qu'ils soient bien croustillants, et on les met de côté.
Si on continue avec la même poêle, on se débarrasse du gras — le gras de porc, contrairement à celui d'oie ou de canard, n'étant pas le plus diététiquement correct. Autrefois, on faisait cuire le reste dedans. Remember when air was pure and sex was dirty?
De nos jours, donc, on fera plutôt dorer l'oignon dans de l'huile végétale, avant d'y ajouter les cubes de pomme de terre, puis les lardons dorés et bien égouttés sur du papier absorbant pour en éliminer le reste de gras néfaste. On n'ira pas, pendant ce temps, binge regarder l'une de ses séries préférées sur Netflix vu qu'il faudra touiller constamment pour ne pas que ça colle, en ajoutant au besoin un peu d'eau.
Des recettes entrevues furtivement parlent, elles, de bouillon de poulet. En poudre. Franchement...
Feu plutôt doux, donc, le rond, hmmm?
Sel, poivre — ou ces magiques Herbes Salées du bas du Fleuve — que j'encourage vivement tous et toutes les visiteur.e.s de ce site à conserver dans leur frigo et à utiliser sans vergogne, comme une sorte de «bouquet garni».
L'idée est évidemment que les cubes de pomme de terre soient tendres, et se soient voluptueusement mariées avec le lard; ou, en tout cas — ne soyons pas puritains —, qu'elles aient au moins batifolé un bon moment avec lui. En tout bien tout honneur.
On aura intuitionné qu'il s'agit là davantage d'un plat d'hiver que de canicule — ce qui, en revanche, dans le Bas du Fleuve, signifie à peu près toute l'année sauf pendant les vacances de la construction. Les bonnes années. Quoi qu'il en soit, je suggérerais que le meilleur accompagnement de se solide plat rustique serait une belle salade — simple ou composée, selon la saison et les arrivages — pour mettre un peu de verdure dans l'assiette...
