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Les chats — et surtout les chattes — de ma vie...

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La première, baptisée à la suite d’une soirée à l’opéra, mourut en bas âge, victime d’une malformation congénitale, sur la table d’opération de son hystérectomie. Elle s’appelait Butterfly; il avait peut-être été imprudent de la nommer ainsi. On me l’avait offerte pour mes quarante ans — timeo amicos et feles ferventes [«Je crains les amis surtout quand ils offrent des chats»: pastiche d'un célèbre vers de Virgile à propos des Grecs et... de leurs cadeaux... de grecs!]. Butterfly me laissa coi, pantois, désarçonné: ce fut sûrement le plus étonnant cadeau de ma vie. J’avais déjà écrit, à propos des chats, peut-être prémonitoirement: «Je te laisserai un souvenir de chat: minuscule, indélébile. Démesuré.» Ce fut.

Puis, Brunnhilde, sa sœur, pied de nez au vérisme puccinien, conséquence de l’intégrale du Ring également reçue pour mes quarante ans, et qui porta bien son nom elle aussi, surtout en dévalant les escaliers, du Walhalla jusqu’à Uitgaard. On eût dit Christa Ludwig en forme ou même, quand elle s’y mettait vraiment, surtout lorsqu’un autre chat faisait mine de vouloir s’approcher de son royaume, Kirsten Flagstadt en voix. Bâtarde noire et blanche, fruit des amours d’une chatte espagnole et d’un matou sans feu ni lieu de Villeray, reine-mère en titre dans deux arrondissements successifs, pendant dix-huit ans. Dernière de la portée qui m’avait valu mon étonnant cadeau d’anniversaire, elle eût sans doute été vouée à l’ignominieux recyclage de la SPCA. Mais quand il y en a pour une — allez, hop, on l’embarque! Soupe au lait et aussi territoriale qu’un doberman, mais bonne nature: morte de sommeil, elle refusait de fermer l’œil, juchée sur le dossier de son fauteuil, tant que le dernier invité n’avait pas été dûment et poliment escorté jusqu’à la porte.

Même après toute une année «en pension» pendant que ses humains faisaient la noce en sabbatique, elle ne nous bouda pas, au retour, et ne nous le fit pas payer non plus, comme à peu près n’importe quel chat se serait fait un devoir de le faire — en chiant dans la baignoire, par exemple, ou, mieux encore, sur l’oreiller. Non. Elle se contenta, elle, de jaspiner non stoppendant une heure, l’air de dire: «Non mais, vous ne vous rendez pas compte de tout ce que j’ai vécu! Imaginez-vous que...» Je dus pendant quelques années, sur ses vieux jours, lui administrer presque quotidiennement une grande seringue de soluté pour l’aider à se réhydrater, ses reins commençant à déclarer forfait. Je réquisitionnais qui je pouvais pour m’assister dans cette tâche, demandant aux amis de passage de m’aider à la tenir pendant que je la piquais. C’était presque aussi pénible pour moi — et pour eux — que pour elle. Résignée, elle ne me griffa jamais, me laissant même croire qu’elle ne m’en voulait pas — tant que ça.

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La troisième — alias Tannante Infante — fit irruption dans ma vie quelques courtes années plus tard, mais déjà trop, sans doute, pour que la Reine Mère ait pu la prendre pour quelque petite sœur, voire quelque progéniture de substitution. Brunnhilde, je crois, préférait les grosses chaussettes de laine grise qu’il m’arrivait de laisser traîner et qui inspiraient ses grossesses utopiques. L’une et l’autre se tolérèrent donc plus qu’elles ne s’aimèrent, pendant la douzaine d’années où elles cohabitèrent. Je dus même souvent jouer les casques bleus lorsque Brunnhilde, telle une walkyrie teutonne, avait l’air de prendre «la petite» pour la Pologne — et de vouloir l’envahir. Sauf les matins où, par moins quarante, je devais m’extirper de la chaleur du homepour un cours ou une assemblée départementale. Ces matins-là, les deux étaient couchées l’une à côté de l’autre sur mon lit, me narguant ferme, roupillant de conserve comme des béguines flamandes.

 

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La Tannante Infante s’appelait en fait Gymnopédie — je passais de l’opéra pompier au piano Belle Époque. «C’est grave comme maladie?», me demanda un jour la jeune assistante du vétérinaire en voyant ce nom sur son carnet de santé. Gymnopédie était minuscule, grise et blanche, un peu névrotique mais extrêmement mignonne. Elle arriva chez moi dans des circonstances pour le moins rocambolesques, un beau jour de septembre où, toutes fenêtres ouvertes, je préparais mes premiers cours du trimestre. Bruits dans la rue: une voiture s’arrête, une portière claque, la voiture redémarre. Nous sommes déjà quelques commères à tendre un œil curieux à la fenêtre. J’ouvre la porte, intrigué. D’un sac de papier kraft, au milieu de la chaussée, s’échappe une petite chose poilue. Je réussis à l’attraper en faisant déjà machinalement défiler dans mon esprit la liste des amis à qui je pourrais peut-être la refiler et les raisons que je pourrais invoquer pour les convaincre de l’adopter, sans me rendre compte que j’étais moi-même déjàséduit. Je poussai le zèle jusqu’à consulter le yi-king, ce vieil oracle chinois qui accompagnait depuis longtemps mes tergiversations de Balance. Je tombai, pour la seule fois de ma vie, sur l’hexagramme 54, Kouei Mei, «L’épousée», dont la troublante pertinence m’étonne aujourd’hui encore, surtout les nuits où la pleine lune illumine la face ouest du mont Tai: «En Chine, la monogamie est de règle. Cependant l’homme est autorisé à écouter ses tendres inclinations personnelles, et c’est le plus gracieux devoir d’une bonne épouse que de lui prêter son concours en ces occasions.» Ouille, on comprend les réticences à l’oracle d’un certain nombre de féministes... «La jeune fille qui, choisie par l’homme, entre dans une famille se soumet modestement à la maîtresse de maison comme une sœur cadette. Ce sont là, bien entendu, des questions délicates, épineuses, qui demandent beaucoup de tact de part et d’autre [...].» Beaucoup de tact...

 

 

La Reine Mère et la Tannante Infante ne s’aimèrent jamais d’amour tendre, mais c’est souvent comme ça dans les meilleurs harems. Gymnopédie vécut elle aussi jusqu’à ses dix-huit ans, dont quelques-unes à ne pas s’ennuyer — je le soupçonne — de sa wagnérienne aînée.

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Un quatrième missile poilu débarqua dans mon existence et dans celle de mon conjoint en janvier 1991, la veille du déclenchement de la première guerre du Golfe. Cette petite chose avait, j’en suis sûr, des gènes de panthère, dont elle était une version miniaturisée. Elle développa vite l’habitude de prendre son élan au bout du couloir de l’appartement et, tel un F16 ou un Mirage III au moment du décollage, de m’escalader au moyen de ses griffes. Cela me valut, en quelques jours, le look d’un Christ sanguinolent dans une église baroque de la Nouvelle Espagne. Elle semblait vachement s’en amuser. Ça et... la conjoncture firent que nous l’appelâmes Scud. En plus de m’esquinter le dos, Scud nous coûta le prix de la caution de l’appartement, s’étant consciencieusement fait les griffes sur la tapisserie des murs. Et, comme chacun sait peut-être, faire dégriffer un chat, en France, demeure le seul crime encore passible de la guillotine — au fil à couper le fromage.

 

À l’approche du retour au pays, en fin de sabbatique, il fallut se résoudre à lui trouver un nouveau foyer d’accueil. Non seulement la quarantaine obligatoire lui eût-elle été cruelle, mais la Reine Mère n’aurait sûrement pas enduré de partager son espace avec une maudite Française. D’un autre côté, malgré son nom de Walkyrie, je ne suis pas certain quelle eût fait le poids devant les attaques du petit missile sol-air que nous avions recueilli. Nous lui trouvâmes heureusement le meilleur des foyers qu’on pût imaginer sous le ciel et les ponts de Paris, banlieue comprise: un couple d’amis habitant Noisy-le-Sec avec une petite fille de quatre ans à l’imagination fertile. «Comment vas-tu l’appeler?», lui demandent ses parents en lui présentant cette petite boule toute noire, aux yeux comme des Life Savers à la menthe. «Blanche Neige.» 

On m’a rapporté que Blanche Neige était morte de sa belle mort, après avoir trôné pendant près de vingt ans sur le capot des voitures de son patelin de la Seine-Saint-Denis, impératrice poilue du 93.

[Ce qui précède est tiré de Confections. Les notes de bas de page ont été omises]

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Plus récemment est entré dans ma vie le chat de mon filleul, Sigmund (euh... c'est le chat qui s'appelle Sigmund, pas mon filleul), ainsi dénommé du temps que ce filleul faisait son bac. en psycho... Il m'arrive assez souvent de le garder — ou, plus exactement, il accepte apparemment assez volontiers de venir faire du couchsurfing chez moi. 

 

Moi qui n’avais jusqu’à maintenant partagé mon existence qu’avec des chattes, je découvre que les matous — surtout, j'imagine,  ceux qui ont été prudemment allégés de leurs capacités procréatrices, sont généralement de bonnes natures et de fort affectueuses poches de patates, notamment lorsqu'ils sont roux et qu'ils ressemblent à Garfield.

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Cela dit, lorsqu’ils sont, comme Sigmund, de gabarit quelque peu conséquent, avec des dents de vampire, des griffes de vélociraptor et une mine de Hell’s Angel contrarié, ils peuvent être parfois épeurants. En tout cas, lorsque Sigmund décide de s’installer dans MON fauteuil, disons que je le lui laisse bien volontiers. Mais, en général, nous vivons en excellente intelligence, notamment lorsque je lis le journal, le matin — quoiqu’il ne partage hélas pas ma passion pour le foot, même à l’occasion des matches de l’Euro ou de la Coupe du Monde. De plus, et comme Abraracourcix, Sigmund a peur d'une seule chose: que le ciel lui tombe sur la tête!

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De plus, et comme Abraracourcix, Sigmund a peur d'une seule chose: que le ciel lui tombe sur la tête!

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Heureusement, c'est pas demain la veille!

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Les  chats, jadis, étaient vénérés comme des dieux. Certains, parfois, semblent ne pas l'avoir oublié...

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Photo © M. Poulin

Photos © G. Ménard

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