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Léo Ferré

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Avec le temps,

Avec le temps, va, tout s'en va,

On oublie le visage

et l'on oublie la voix;

Le coeur, quand ça bat plus,

c'est pas la peine d'aller

Chercher plus loin,

faut laisser faire et c'est très bien... 

Avec le temps,

Avec le temps, va, tout s'en va,

L'autre qu'on adorait,

qu'on cherchait sous la pluie,

L'autre qu'on devinait au détour d'un regard,

Entre les mots, entre les lignes et sous le fard,

D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit

Avec le temps tout s'évanouit...

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.



Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.


C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.

 

Le ciel était gris de nuages

Il y volait des oies sauvages

Qui criaient la mort au passage

Au-dessus des maisons des quais

Je les voyais par la fenêtre

Leur chant triste entrait dans mon être

Et je croyais y reconnaître

Du Rainer Maria Rilke.

 

Elle était brune et pourtant blanche

Ses cheveux tombaient sur ses hanches

Et la semaine et le dimanche

Elle ouvrait à tous ses bras nus

Elle avait des yeux de faïence

Elle travaillait avec vaillance

Pour un artilleur de Mayence

Qui n'en est jamais revenu...

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