Exu
dieu afro-brésilien des seuils,
des morts et des chemins
(...) J’achète quelques babioles dans l’ancienne prison de Recife transformée en centrale d’artisanat pour touristes. Le soir, dans la famille qui m’héberge, il y a de la visite. Un grand type mince entre deux âges venu prendre un cafezinho. On me le présente comme une sorte de prêtre du candomblé, l’un des cultes afro-brésiliens présents un peu partout dans le pays. De peine et de bravoure nous tentons de causer. Je lui montre mes achats, dont une petite sculpture très dépouillée, faite de tiges de métal soudées qui dessinent un trident entre ce qui ressemble à deux croix. Le babalorisha un geste de recul. Une heure de laborieuse conversation plus tard, j’aurai à peu près compris qu’il s’agit en fait du symbole de l’un des principaux orixas (ou orishas), afro-brésiliens, Exu (ou Eshu), esprit des seuils, des morts et des cimetières, demi-dieu d’origine yoruba, jumeau de Papa Legba dans le vaudou haïtien.
Eshu, figure complexe, est fréquemment représenté comme un dieu cornu au phallus démesuré. De ce fait, le clergé catholique, plus expéditif que subtil, a souvent eu tendance à l’identifier — j’allais dire à l’envoyer — au diable. Dieu des seuils et des portails, esprit de la communication, ce serait plutôt une sorte d’Hermès noir, un peu trickster aux soudures, tout à la fois bienveillant et craint, capricieux et magnanime.
Je finis par comprendre que j’avais bien fait d’acheter l’artefact métallique, et qu’il ne me porterait sûrement pas malheur — à la condition expresse de le laisser à l’extérieur de chez moi et de ne pas l’introduire dans la maison. J’obtempérai. Après tout, il n’est pas absolument indispensable de croire aux dieux des autres pour être poli à leur endroit. J’espère seulement que le pauvre Eshu ne m’en veut pas trop de le laisser depuis vingt ans se les geler dehors, six mois par année: a culpa não é mia!
(Extrait de Confections)
Se for de paz, pode entrar
Si tu viens en paix, tu peux entrer
«Exu du chemin fermé,
Je te demande de fermer
le chemin de mon ennemi.
Je te laisse une offrande
pour te remercier de tes services.
Qu'il en soit ainsi.»
Exu, par Jean-Michel Basquiat