Tourte à la bière noire


J’ai goûté, en Irlande, une recette que j’avais pratiquée à plusieurs reprises déjà, en partie inspirée de recettes traditionnelles d'Irish Stew, en partie du célèbre chef hipster James Oliver : la toute à la bière noire. Eh bien, je dois humblement reconnaître que si la chose n’était pas mauvaise — en plus, dans un restaurant dont le chef était sûrement riche — elle était, all in all, et cela étant dit en toute modestie, moins réussie que MA recette — que je n’aurais évidemment pas donnée ici, n’eût été de cette conviction!
J’ai dit : tourte. En anglais, on dit pie. À strictement parler, une tourte devrait être totalement enrobée de pâte, ce qui n’est pas le cas ici, puisque celle-ci est seulement recouverte d’un dôme de pâte. Mais do we really give a flying f**k about it?
Voici par ailleurs une autre recette qui s’accommode de bien des variantes et de bien des libertés...
On peut tout d’abord l’imaginer au bœuf ou à l’agneau. Mais je l’ai déjà réalisée avec des bouchées de «viande végé» (mock meat), que l’on trouve, de nos jours, dans un certain nombre de bonnes épiceries et de magasins de produits «naturels».
Cette tourte incorpore en outre plusieurs légumes coupés en bouchées : cèleri, carottes, navet (sans navet, c’est pas vraiment irlandais...), panais et cèleri rave, si vous en avez sous la main. Des pommes de terre, aussi, soit pelées et coupées en dés, soit de mini grelots tout ronds, avec leur pelure. Mais attention : je vais suggérer que cette recette (ou ce qu’il vous en restera) peut se congeler. Sauf que congeler des pommes de terre, ce n’est pas vraiment génial. Alors, si vous pensez en congeler une partie, omettez les patates — ou trouvez une autre manière de les servir, en accompagnement. Voir, à cet égard, par exemple, la recette de colcannon.
Il faudra aussi un bel oignon, 1 ou 2 gousses d’ail et, pour la sauce, plus ou moins une petite bouteille (ou une petite boîte) de bière. La noire — genre Guinness — fera fort traditionnellement l’affaire, mais d’autres iront bien aussi : question de goût, donc, en bonne partie.
J’ai l’habitude d’ajouter un peu de fond brun (de veau, par exemple) que l’on trouve de plus en plus souvent aussi dans les bonnes épiceries. Ce n’est pas indispensable, mais ça donne quand même du goût et ça règle une bonne partie de votre assaisonnement!
Bon... Combien de quoi?
Disons... un/un : un kilo de viande (vraie ou végan) et un kilo de légumes, et... toutes les combinaisons proportionnées... Ça va? Plus la bière et le fond de veau (plus ou moins une tasse), éventuellement allongé, au besoin, d’un peu d’eau, ou épaissi, si nécessaire, d’une cuillère à soupe de fécule de maïs (en France : Maizena) dissoute dans un peu d’eau.
On fait revenir les cubes de viande dans de l’huile d’olive et un peu de beurre (le beurre donne plus de goût, l’huile empêche le beurre de brûler), jusqu’à ce qu’ils soient bien brunis de tous les côtés. Pas trop à la fois : mieux vaut le faire en deux ou trois fois. Ça demande un peu plus de patience, mais ça vaut la peine. J'ajoute qe les poêles anti-adhésives, si géniales soient-elles, ne sont cependant pas celles qui permettent de dorer le plus facilement les cubes de viande.
On réserve tout ça dans une assiette; on fait — dans la même poêle ou dans une autre — dorer l’oignon finement haché dans une petite quantité de beurre et d’huile d’olive; lorsqu’il commence à être translucide, on ajoute l’ail haché, les légumes coupés en dés; on touille tout cela un moment dans l’huile et le beurre. Les Italiens ont pour cela un verbe à la fois évocateur et joli : insaporire, incorporer de la saveur.
On verse alors la bière — techniquement, ça s’appelle «déglacer»; ça bouillonne, on laisse s’évaporer l’alcool quelques instants. Puis, si on a décidé de le faire, on ajoute le fond de veau, on touille. On remet les cubes de viande dans la poêle, on goûte, on se demande si ça mériterait un peu de sel et de poivre, un soupçon d’herbes de Provence, peut-être, ou d’herbes salées du Bas du Fleuve; si oui, ben... on y voit! On couvre la casserole et on laisse tout doucement mijoter pendant une petite demi-heure... À la suite de quoi, on peut laisser refroidir, mettre au frigo, voire au congélo.
Là, on aura acheté, dans son épicerie préférée, une boîte de pâte feuilletée. Pas de pâte phylo. Ça, c’est autre chose. De pâte feuilletée. Généralement, ça vient en deux rouleaux congelés. On laisse décongeler au frigo pendant 2 ou 3 heures. On remplit de la préparation des ramequins individuels d’une taille convenant soit à une entrée, soit à un plat principal. On déroule les rouleaux de pâtes et on y découpe des cercles légèrement plus grands que la surface des ramequins.
Généralement, un rouleau suffit pour couvrir deux ramequins destinés à un plat principal. Do the maths, comme ils disent à Kilkenny. On dépose les cercles sur les ramequins, en collant bien les côtés sur les bords, en les pressant doucement. L’idéal est de les badigeonner d’un œuf battu, ce qui leur donnera, en cuisant, une bien jolie couleur. Sinon, c’est pas grave, ça n’enlèvera rien au goût. On peut aussi pratiquer de légères incisions sur la pâte — sans traverser celle-ci : au finish, ça donnera un chouette résultat...
On enfourne alors dans un four qu’on aura préalablement fait chauffer à 400 F / 200 C — pendant, disons, une petite quarantaine de minutes. Il n’est pas interdit de jeter un œil de temps en temps et de voir si... tout va bien...
Normalement, la vapeur devrait avoir fait gonfler la pâte feuilletée en un joli dôme doré aussi savoureux que décoratif... À Dublin, ils faisaient cuire les dômes à part et en recouvrait le ragoût réchauffé — Shameful! Là, vous aurez une vraie de vraie tourte toute fumante, dans laquelle se seront de nouveau mariées toutes les saveurs de ce que vous y aurez mis... Mais attention, lorsque vous y plongerez la fourchette : c’est... extrêmement chaud! Prenez le temps de bien humer les effluves sublimes qui s’échappent de la tourte — et peut-être une première gorgée de Guinness, comme eût sûrement recommandé Philippe Delerm —, avant de vous y aventurer...