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Un jour, rue de Rivoli, à Paris, un marchand qui avait apparemment tout son temps me prodigua quelques leçons de choses philatéliques. «Vous savez, monsieur, lorsqu’il se produit une révolution dans un pays, généralement, la première chose que fait le nouveau régime, c’est d’éliminer les anciens dirigeants, soit en les exilant, soit en les passant par les armes. Et la seconde, c’est d’émettre de nouveaux timbres-poste.»

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Cette observation attira encore plus mon attention sur les modifications apportées aux timbres tout au long de leur vie utile, une chose à laquelle nous ne sommes plus guère sensibles de nos jours où de nouvelles émissions se bousculent quasiment chaque semaine aux présentoirs des comptoirs postaux, célébrant des joueurs de hockey, des rockers de province, des chiens de race, des pétunias primés et des héros de bandes dessinées.

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Autrefois, il n’en était pas ainsi. Les émissions de timbres étaient rares, et ceux-ci pouvaient demeurer en circulation pendant de longues années. On attendait que le roi soit vraiment devenu chauve avant de le coiffer d’une couronne ou, plus simplement encore, on patientait jusqu’à son décès pour imprimer une nouvelle émission à l’effigie de son successeur.

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On était, bref, économe. Et, avant la lettre, on recyclait. Si d’aventure tel monarque avait la mauvaise grâce d’être déposé en cours d’émission ou si telle principauté avalait telle autre au terme de quelque guerre obscure, on ne s’excitait pas pour émettre de nouvelles vignettes postales, on se contentait de ressortir les vieilles plaques; on y barrait simplement le nom du pays disparu ou on y écrasait cordialement la bouille du souverain déchu tout en y sur-imprimant le nom du nouvel État ou le monogramme du nouveau monarque. Le tsar Nicolas II y a ainsi goûté ferme à la révolution d’octobre; on reste impressionné par la fureur des tampons bolcheviks qui lui écrapoutissent la tronche.

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Occupations, libérations, nouvelles occupations, reconquêtes, tout y passe. À cet égard, les deux grandes guerres du 20e siècle sont la source de passionnants casse-tête pour la taxinomie philatélique. Où, en effet, ranger les timbres polonais surchargés du Generalgovernment nazi? Et les valeurs à l’effigie d’Adolf Hitler ou du maréchal  von Hindenburg, sur-imprimées Elsaß ou Lothringen, on les met en France ou en Germanie? Böhmen und Mähren, Bohème et Moravie, ça va où, dans l’album, depuis qu’il n’y a même plus de Tchécoslovaquie?

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Dans Le coup de grâce, Marguerite Yourcenar raconte la guerre civile en Courlande, région de la Lettonie, sur la mer Baltique. À la fin de la seconde guerre mondiale, Hitler y enverra ses derniers ados faméliques s’y faire mitrailler sans pitié dans la boue glaciale et amère de la défaite. J’hésite encore à acheter les cinq timbres où l’on voit sa sale gueule surchargée de Kurland.

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L’un de mes héros philatéliques préférés fut sans contredit Ahmed Zogu, élu président de la république d’Albanie en 1925. On le voit sur de modestes timbres, en modeste costume de ville, modeste premier ministre puis, peu après, modeste président d’un tout aussi modeste État au fin fond des modestes Balkans.

Et puis, tiens, sur la même série, quelques années plus tard, une couronne de laurier surimprimée — parfois de traviole, mais tout de même — vient entourer son modeste quoique désormais auguste visage.

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On dirait qu’il se passe quelque chose. Et voici qu’en effet, l’année suivante, Ahmed apparaît sur de nouveaux timbres en grand uniforme militaire, désormais couronné roi sous le nom de Zog — premier et, si ça se trouve, seul de sa modeste dynastie

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— jusqu’à ce que, en avril 1939, l’armée de Mussolini annexe son modeste royaume et tamponne l’émission royale en mettant définitivement fin à son modeste règne. Sic transit gloria mundi. 

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La gloire de Zog ne s’arrête pourtant pas là, non.

Certains tintinophiles ont en effet cru retrouver ses traits sous ceux du débonnaire Muskar XII, roi de Syldavie, dont Tintin, in extremis, sauvera le sceptre et la dynastie. Ces mêmes traits, des black-et-mortimerologues ont pour leur part cru les déceler sous le rictus de l’infâme Olrik, ennemi juré des deux héros d’Edgar P. Jacobs. Ne me croyez pas sur parole. Ressortez vos vieux albums, ou gouguelez.

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Sauf pour le trois centième anniversaire de Québec, en 1908, le Canada évita jusqu’à la fin des années vingt de bilinguiser ses timbres. La philatélie canadienne, on ne s’en étonnera guère, refléta constamment les contradictions et les névroses de cet improbable pays.

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Je me fendis un jour d’une lettre ouverte au Devoir pour m’indigner du fait que Postes Canada Post venait d’émettre un timbre à la mémoire de Réal Caouette, vendeur de chars usagés et chef du populiste Crédit social, alors qu’il avait superbement ignoré celle de Félix Leclerc. Ce dernier avait vraisemblablement été trop compromis avec l’idéologie séparatisse, comme disait le chef créditisse mais néanmoins fédéralisse, pour mériter les hommages de la poste fédérale. Et je ne parle évidemment pas de la mémoire de René Lévesque, annihilée dans une faille de l’espace-temps postal canadien, à tout jamais effacée dans un trudeauesque trou noir.

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Un quidam fédératéliste me répondit, également dans les pages du Devoir, que j’étais aussi injuste qu’impatient: les choses allaient forcément venir «en leur temps». De fait, lors du tsunami philatélique qui déferla sur le Canada/ on Canada à l’occasion du passage à l’an 2000, le pays émit un bloc de quatre timbres consacrés aux «artistes accomplis/ extraordinary entertainers». On y voit le barde de Vaudreuil et de l’île d’Orléans entouré de Glenn Gould, de Portia White et de Guy Lombardo.

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(La constitution canadienne, maculée

du sang de la nuit des longs couteaux...)

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Pour Gould, je ne chipote pas, je salue même le rapprochement. Je n’ai pas la moindre idée, par contre, de qui était Portia White. Mais mettre dans le même bloc le père de la chanson francophone et un crooner amateur d’aéroplanes et naturalisé américain?

Quant à René Lévesque, lui, il peut toujours attendre, jusqu’à ce que le Canada émette une série incluant également la Corriveau [*], Jack the Ripper et l’Étrangleur de Boston. Ou, si ça se trouve, Adolf Hitler lui-même, avec ou sans surcharge.

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[*] Depuis lors (j'avais dû faire une sorte de... plagiat par anticipation), Postes Canada Post a bel et bien émis un timbre en l'honneur (!) de la Corriveau...

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... ainsi qu'en celui de la Bolduc, de Renée Martel, de Robert Charlebois et, si ça se trouve, de Dracula lui-même, en personne. Mais René Lévesque, lui...

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À moins... que ce soit un avatar de PET???

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