(Lune des vents)
EST
sur les flancs du mont Fuji,
tel un moine zen,
la lune, immobile
frêles enfants-fleurs
partis s’engourdir, là-bas,
de hasch et de rêve
comme un feu de brousse,
comme un serpent, comme la
rumeur du Bazar
presque aussi vif que
l’émeraude, à peine moins
vibrant que le jade
le cœur haletant,
fuyant la malédiction
à l’est de l’Éden
sur la place Rouge,
les bulbes de Saint-Basile,
tels de gros sundaes
lanternes d’octobre,
nuit au jardin botanique,
ombres pékinoises
priant, immobile,
devant l’antique pagode,
comme un chat birman
quand le rouge octobre
a mis les Cantons de l’Est
à feu et à sang
quand la Marseillaise
n’était encore que la Marche
de l’Armée du Rhin
vert comme les yeux
d’un Bouddha de pacotille
made in Katmandou
narguant les chars russes
à coups d’orchestres moraves
— avec cymbalum
la lune se lève ;
Hochelaga-Maisonneuve
redevient Byzance
ils faisaient l’amour
en cornant parfois les pages
du Kâma Sûtra
le Nil, amoureux,
caressant, au crépuscule,
le flanc des felouques
un chorten en ruine,
des katas effilochés,
un lama, des yaks
des heures plus tard,
scellant leur marché d’un verre
de thé à la menthe
enfouis sous la neige,
les vignobles de Dunham
attendent juillet
ils manquaient d’oreilles
en écoutant le récit
de Marco Polo
Dachau, Mauthausen,
Treblinka, Sachsenhausen,
Auschwitz, Birkenau
les grands tournesols,
tels de pieux musulmans
tournés vers la Mecque
ses je t’aime avaient
la froide cruauté des
triades chinoises
un champ de pavot
où la lune se shootait,
près de Kandahar
ils étaient quarante
terrés dans un container ;
quarante Albanais
Perse, Hadramaout,
Alaouites, Grand Liban,
antique Levant
les traits burinés
d’un vieux gardien de troupeaux
né dans le Sertão
au cœur du Mile End,
le clocher de St. Michael
joue au minaret
l’aîné s’appelait
Léonide, et la plus jeune,
Perestroïka
il devenait triste
en entendant fredonner
« O Shenandoah… »
villages fermés,
bancs de morues désertés,
triste Gaspésie
Byzance bruissait
de tous les secrets des princes
porphyrogénètes
ils vous envoyaient,
pour un daou pour un niet,
voir la Sibérie
tous fieffés cockneys,
tous nés sous les cloches de
Saint-Mary-le-Bow
un enfant qui pleure,
une kalashnikov russe,
un charnier afghan
un tapis volant
survolait Bagdad, cadeau
de l’U.S. Air Force
l’armée d’Alexandre
pénétrait l’Asie mineure
comme un âne en rut
distrayant leur spleen
dans les wagons rouge et or
de l’Orient-Express
les secrets d’État
s’ébrouaient entre les cuisses
de Mata Hari
l’ombre de Mordor
faisait planer sa menace
jusqu’à la Comté
moi, la Yéménite,
amante de Salomon,
reine de Saba
collaborateur,
au temps où Bratislava
s’appelait Preßburg
il hantait les bars
comme Dracula les nuits
deTransylvanie
Tsahal patrouillait ;
le Hezbollah conspirait ;
business, as usual
l’eunuque gardait
la sublime porte du
sérail ottoman
poudrerie torride,
congères saumâtres, soif,
Ogaden maudit
vous souvenez-vous
de moi, madame, du temps
de Marienbad ?
une lune rouge
sur l’honneur d’un samouraï ;
puis, la lune pleure
​

haïkus © G. Ménard
illustration © R. Turgeon