(Lune des vents)
NORD
un rayon de lune
blotti tout au creux de l’aile
d’un harfang des neiges
l’hiver s’efforçait
de s’endimancher comme une
chanson de Vigneault
un voilier d’oies blanches
s’échappant, au mois d’octobre,
d’un grand Riopelle
pendant qu’à Rio
la samba s’éclate, nous
valsons sur la glace
l’été, tel un ours,
qui se repose la vie
quand le nord hiberne
ils avaient le choix :
les prisons de Nantes ou bien
l’hiver de Québec
petite sirène
dans le port de Copenhague,
fille à matelots
leurs rêves — têtus
comme l’herbe à caribou,
malgré Lord Durham
squattant leur pays
à force de frêles digues
sur la mer du Nord
il trouvait Cythère
dans les W.C. glauques de
la gare du Nord
tiré par les chiens,
on eût dit le fier carrosse
d’un roi de Thulé
​
ce n’était pour lui
que quelques arpents de neige
bien loin de Paris
notre Croix du Sud,
comme un manche de chaudron
incrusté d’étoiles
l’aube, sur le fjord,
offerte aux caresses du
soleil de minuit
nos printemps trop courts,
nos étés exaspérants,
nos hivers de force
mourant dans la boue,
fils abandonnés du Reich,
là-haut, en Courlande
feu follet dansant
dans l’aurore boréale,
— carcajou, mon frère
comme un jour sans pain,
comme une nuit de décembre,
comme toi au loin
vahinés des neiges,
sorties tout droit d’un Gauguin
revu par Krieghof
snowbirdsde Floride,
fugitifs de mi-novembre,
déserteurs du nord
triste comme un phoque
qui fait tourner des ballons
loin de sa banquise
trapant le castor,
enfirouapant les Sauvages,
lutinant leurs squaws
le jet set dansait ;
l’équipage picolait ;
l’iceberg approchait
âpre hiéroglyphe,
pâle arcane nordique, IS,
rune de la glace
morts à défricher
l’illusoire Eldorado
des Pays d’en Haut
la neige effaçait
les traces du rêve fou
de Leif Eriksson
vaisseau abîmé
dans l’or d’un jardin de givre,
— nouvelle Norvège…
leurs maisons de glace,
leurs femelles qu’ils vous prêtent,
leurs vieillards qu’ils bouffent
quoique Lyonnais,
il demeurait estranger :
il venait du nord
ronces et bruyères
avaient habillé la lande
d’un tartan d’or fauve
ils rêvaient d’Indiens,
d’espaces immenses et d’une
cabane en bois rond
et Noël devint
un blue chipcoté en bourse,
santaclaus.com
la toundra s’enfonce
dans la longue nuit polaire ;
mais l’inukshuk veille
Northern Line, Northbound ;
les haut-parleurs du métro
crachent « Mind the gap ! »
des coureurs de bois
transformés en ingénieurs ;
Manic, LG2
la lune, virile,
excitait la chevauchée
de la walkyrie
on dirait l’érable
fagoté comme un hippie
pour l’été indien
il était Prussien
mais il ne lisait que la
Süddeutschezeitung
parfum de sapin,
de sauge, de foin d’odeur
et de folle avoine
fier comme un saumon
capturé par un Innu
de Meliotenam
comme la vertu,
la Bretagne ou Tchaikovski,
— c’est beau, mais c’est triste !
ils s’étaient aimés
de loin — elle à Rosemont,
lui à la Baie James
tels des hooligans
au cours d’un match de finale
Manchester-Munich
d’une main la croix,
et de l’autre l’arquebuse ;
les Blancs arrivaient
relisant Melville,
traquant toujours Moby Dick
loin de Nantucket
le croissant de lune
transformait la pinède en
étendard mauresque
l’embâcle éclata
tel l’espoir de tout un peuple
peint par Borduas
et la lune garde
la mémoire des légendes
hyperboréennes
​
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haïkus © G. Ménard
illustration © R. Turgeon