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Paysages abyssins

Gambilla, Jimma et le sud-ouest

Jour de Noël éthiopien, 1973. On est le 6 janvier — le pays a conservé l’ancien calendrier julien, comme la Russie qui fêtait, dans le temps, la révolution d’Octobre au mois de novembre. Les pneus de la jeep s’enfoncent dans la boue de Gambela, aussi désespérante que celle des tranchées de 14-18.

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Vous devez traverser la rivière Baro, mais il n’y a pas de pont. Peut-être a-t-il été emporté par les crues, ou peut-être n’y en a-t-il jamais eu. Il vous faut négocier une bonne partie de la journée pour louer quelques pirogues et les transformer en bac improvisé, au moyen de madriers et de rondins fixés de travers aux longues embarcations évidées dans un seul tronc d’arbre.

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Vous ne passez pas inaperçu dans le village. Comme disent les Anglos: «vous faites leur journée», et probablement même déjà une bonne partie de leur nouvelle année. Vous espérez très fort que les planches vont tenir. Vous avez en effet remarqué que, non loin, dans la rivière, ce qui avait l’air de troncs d’arbres flottants, en fait, n’en était pas. Mauvaise blague d’un de vos compagnons de route: «Tiens, je ne savais pas que Lacoste faisait aussi des bateaux...»

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 Le long de la rivière, quelques silhouettes apparaissent: ce sont des Anuaks, élancés, sombres, timides mais affables, armés de sagaies et portant sur la tête de curieuses caissettes de bois. Leur contenu vous intrigue. Vous vous dites que ça ressemble un peu à des rayons de ruches. Mais l’odeur vous oriente rapidement sur une autre piste: du tabac? Vous allez vous rendre compte que les Anuaks sont de grands virtuoses dans l’art de pétuner, comme disaient les Relationsdes jésuites.

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Un peu plus loin, vous croisez quelques jeunesses qui vous sourient comme si elles étaient vraiment heureuses de vous rencontrer même si, pour communiquer, c’est plutôt galère: vous ne pouvez même pas vous servir de votre amharique de ruelle, il ne se rend pas jusqu’ici. Vous aimeriez pourtant faire un brin de jasette avec ces jeunes et, comme Evans-Pritchard dans le temps avec leurs cousins Nuers, enrichir un peu votre vocabulaire anuak.

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 Vous avez un vieux Bic au fond de votre poche, mais pas de calepin ni de papier. Alors, n’écoutant que votre inextinguible soif de connaissances, vous vous mettez à faire de petits dessins dans votre main droite que vous tendez à vos nouveaux amis dans l’espoir 1) qu’ils reconnaissent l’objet de votre art et 2) que le son qu’ils émettent renvoie bien au terme désignant cet objet dans leur langue plutôt qu’à quelque réflexion du genre «il est fêlé, ce mec, ou quoi?». La méthode est laborieuse, mais non dénuée d’efficacité. Après une demi-heure vous vous retrouvez avec une demi-douzaine de mots dans la main droite, honnête début pour un lexique: yang = crocodile; kong = épi de maïs; roi = giraffe; l(w)ie = éléphant; o’ikwao = pirogue-sur-la-rivière-Baro (les rigoureuses exigences de votre méthode ne vous permettent pas d’affirmer que c’est le même terme qui désigne les pirogues naviguant sur d’autres cours d’eau); oudjouak = jiggida, une sorte de perdrix à aigrette. , dans la main gauche — il y en a forcément moins, vu que vous êtes gaucher —, = lion. Et kul = sanglier. Il n’y a toutefois pas de dessin pour ce dernier terme, les grognements typiques des phacochères, accompagnés du mime de leurs défenses, vous en ont épargné le croquis. 

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yang = crocodile; 

kong = épi de maïs;

 roi = giraffe; 

l(w)ie = éléphant; 

o’ikwao = pirogue-sur-la-rivière-Baro (les rigoureuses exigences de votre méthode ne vous permettent pas d’affirmer que c’est le même terme qui désigne les pirogues naviguant sur d’autres cours d’eau);

oudjouak = jiggida, une sorte de perdrix à aigrette. 

, dans la main gauche — il y en a forcément moins, vu que vous êtes gaucher —, = lion.

Et kul = sanglier. Il n’y a toutefois pas de dessin pour ce dernier terme, les grognements typiques des phacochères, accompagnés du mime de leurs défenses, vous en ont épargné le croquis. 

   Vous vous dirigez vers l’agglomération de Jimma, capitale de l’ancienne province du Kaffa avant les grandes restructurations géopolitiques issues de la révolution. Selon la légende, un petit pâtre nomade était un jour arrivé dans le coin avec son troupeau de chèvres. Celles-ci s’étaient mises à brouter tout ce qui se trouvait à leur portée, dont ces étranges arbustes aux petits fruits rouges que le jeune chevrier n’avait jamais vus et dont la consommation, lui sembla-t-il, rendait ses chèvres plutôt guillerettes et même assez speedy. L’idée lui vint d’en faire infuser quelques grains dans sa calebasse d’eau chaude, le lendemain matin. Il venait de se prendre le premier petit noir de l’histoire.

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